Haamu

 

 

À force de questionner la problématique de la représentation par l’image (ou l’eidôlon, c’est à dire l’image-âme), j’en suis venue à côtoyer mes propres fantômes, ces énergies positives, car il est vrai que « l’être n’existe que hanté, parcouru par d’autres êtres, les fantômes »(1). Cette énergie des êtres disparus, cette force vitale, l’énormon d’Hippocrate, ce feu interne, cette vibration intime(2), c’est aussi le monde « subphysique » de la physique quantique, ce monde des eidôla d’Épicure, sorte de doubles voyageurs qui restent invisibles durant leur trajet mais qui sont à l’origine de l’image mentale, phantasia, phantasma [ϕάνταὓμα], ou encore fantôme. Essence magique de la lumière. D’ailleurs un des buts de l’art n’est il pas de surprendre "cette rencontre, dans l’ambiance, des particules les plus ténues, cette poussière d’émotion qui enveloppe les objets...(3)"? En Finlande, le fantôme, le double, haamu, est omniprésent: nous avons tous un double à nos côtés, présence auratique et protectrice qui se déplace dans l’espace-temps: intermédiaire psychopompe, il va chercher des réponses dans le monde des morts; il possède ce don de « vision » suprasensible... tout comme l’image a toujours tenté de représenter l’invisible. 
Ainsi le miroir nous renvoie une image ambigüe (de quelle réalité s’agit-il ?), il peut piéger notre double, de même j’assemble mes images, mes objets comme autant de négatifs, de retournements, de suggestions du réel. Je m’amuse de l’homonymie du mot spectre, désignant tout à la fois le monde de l’au-delà, par définition imperceptible, et la représentation des rayonnements électromagnétiques, la lumière, ou autres espaces topologiques pointés, pour représenter l’identité des corps ou bien celle des âmes. 
Comme dans un miroir: vous n’êtes pas le reflet, mais le reflet est vous. 

(1) Paul Ardenne, in « Video Forever, 15 Fantômes », février 2014 
(2) Hippolyte Baraduc, « La Force vitale », 1897, père des « psychogrammes ». 
(3) Paul Cézanne, in « Cézanne », Joachim Gasquet, 1921